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une explication, et l’attendit au salon. Anna ne rentra pas seule, elle amena une de ses tantes, une vieille fille, la princesse Oblonsky, avec qui elle avait fait des emplettes : sans remarquer l’air inquiet et interrogateur de Wronsky, Anna se mit à raconter gaiement ce qu’elle avait acheté dans la matinée ; mais il lisait une tension d’esprit dans ses yeux brillants quand furtivement elle le regardait, et une agitation fébrile dans ses mouvements qui l’inquiétèrent et le troublèrent.

Le couvert était disposé pour quatre, et on allait se mettre à table, lorsqu’on annonça Toushkewitch, venu de la part de la princesse Betsy, avec une commission pour Anna.

Betsy s’excusait de n’être pas venue lui dire adieu ; elle était souffrante, et priait Anna de venir la voir, entre sept heures et demie et neuf heures. Wronsky regarda Anna, comme pour lui faire remarquer qu’en lui désignant une heure on avait pris les mesures nécessaires afin qu’elle ne rencontrât personne ; Anna sembla n’y faire aucune attention.

« Je regrette infiniment de n’être pas libre précisément entre sept heures et demie et neuf heures, dit-elle avec un imperceptible sourire.

— La princesse le regrettera beaucoup !

— Moi aussi.

— Vous allez probablement entendre la Patti ? demanda Toushkewitch.

— La Patti ? Vous me donnez une idée. — J’irais certainement si je pouvais me procurer une loge.

— Je puis vous en avoir une.