Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Eh bien, ces patriarches ?

— Énoch,… Énos.

— Tu les as déjà nommés. C’est mal, Serge, très mal : si tu ne cherches pas à t’instruire des choses essentielles à un chrétien, qu’est-ce donc qui t’occupera ? dit le père se levant. Ton maître n’est pas plus satisfait que moi, je suis donc forcé de te punir. »

Serge travaillait mal en effet, et cependant ce n’était pas un enfant mal doué ; il était au contraire fort supérieur à ceux que son maître lui citait en exemple : s’il ne voulait pas apprendre ce qu’on lui enseignait, c’est qu’il ne le pouvait pas, et cela, parce que son âme avait des besoins très différents de ceux que lui supposaient ses maîtres. À neuf ans, ce n’était qu’un enfant, mais il connaissait son âme et la défendait contre tous ceux qui voulaient y pénétrer sans la clef de l’amour. On lui reprochait de ne rien vouloir apprendre, et il brûlait cependant du désir de savoir, mais il s’instruisait auprès de Kapitonitch, de sa vieille bonne, de Nadinka, de Wassili Loukitch.

Serge fut donc puni ; il n’obtint pas la permission d’aller chez Nadinka ; mais cette punition tourna à son profit. Wassili Loukitch était de bonne humeur, et lui enseigna l’art de construire un petit moulin à vent. La soirée se passa à travailler et à méditer sur le moyen de se servir d’un moulin pour tournoyer dans les airs, en s’attachant aux ailes. Il oublia sa mère, mais la pensée de celle-ci lui revint dans son lit, et il pria à sa façon pour qu’elle cessât de se cacher et lui fit une visite le lendemain, anniversaire de sa naissance.