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Levine accourut dans le vestibule, et lorsqu’il reconnut son frère, épuisé et semblable à un squelette, il n’éprouva plus qu’une profonde pitié. Debout dans l’antichambre, Nicolas cherchait à ôter le cache-nez qui entourait son long cou maigre, et souriait d’un sourire étrange et douloureux. Constantin sentit son gosier se serrer.

« Hé bien ! me voilà arrivé jusqu’à toi, dit Nicolas d’une voix sourde, en ne quittant pas son frère des yeux ; depuis longtemps je désirais venir sans en avoir la force. Maintenant cela va beaucoup mieux, » dit-il en essuyant sa barbe de ses grandes mains osseuses.

— Oui, oui, » répondit Levine en touchant de ses lèvres le visage desséché de son frère et en remarquant, presque avec effroi, l’étrangeté de son regard brillant.

Constantin lui avait écrit, quelques semaines auparavant, qu’ayant réalisé la petite portion de leur fortune mobilière commune, il avait une somme d’environ 2000 roubles à lui remettre. C’était cet argent que Nicolas venait toucher ; il désirait revoir par la même occasion le vieux nid paternel, et poser le pied sur la terre natale pour y puiser des forces, comme les héros de l’ancien temps. Malgré sa taille voûtée et son effrayante maigreur, il avait encore des mouvements vifs et brusques : Levine le mena dans son cabinet.

Nicolas s’habilla avec soin, ce qui ne lui arrivait pas autrefois, peigna ses cheveux rudes et rares, et