Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/571

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsque Levine, livré à ses pensées, rentra chez lui, il faisait nuit noire. L’intendant avait rapporté un acompte sur la vente de la récolte, et raconta qu’on voyait sur la route des quantités de blé non rentré.

Après le thé, Levine s’installa dans un fauteuil avec son livre, et continua ses méditations sur le voyage projeté et le fruit qu’il en tirerait. Il se sentait l’esprit lucide, et ses idées se traduisaient en phrases qui rendaient l’essence de sa pensée ; il voulut profiter de cette disposition favorable pour écrire ; mais des paysans l’attendaient dans l’antichambre, demandant des instructions relatives aux travaux du lendemain. Quand il les eut tous entendus, Levine rentra dans son cabinet et se mit à l’ouvrage. Agathe Mikhaïlowna, avec son tricot, vint y prendre sa place habituelle.

Après avoir écrit pendant quelque temps, Levine se leva, et se mit à arpenter la chambre. Le souvenir de Kitty et de son refus venait de lui traverser l’esprit avec une vivacité cruelle.

« Vous avez tort de vous faire du souci, lui dit Agathe Mikhaïlowna. Pourquoi restez-vous à la maison ? Vous feriez bien mieux de partir pour les pays chauds, puisque vous y êtes décidé.

— Aussi ai-je l’intention de partir après-demain ; mais il me faut terminer mes affaires.

— Quelles affaires ? N’avez-vous pas assez donné aux paysans ? Aussi ils disent : « Votre Barine compte sans doute sur une grâce de l’Empereur ! »