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mais celui-ci écoutait attentivement les paroles du vieillard, trouvant qu’elles résultaient de réflexions personnelles, mûries par une longue expérience de la vie de campagne.

« Tout progrès se fait par la force, continua le vieux propriétaire : Prenez les réformes de Pierre, de Catherine, d’Alexandre. Prenez l’histoire européenne elle-même… Et c’est dans la question agronomique surtout qu’il a fallu user d’autorité. Croyez-vous que la pomme de terre ait été introduite autrement que par la force ? A-t-on toujours labouré avec la charrue ? Nous autres, propriétaires du temps du servage, avons pu améliorer nos modes de culture, introduire des séchoirs, des batteuses, des instruments perfectionnés, parce que nous le faisions d’autorité, et que les paysans, d’abord réfractaires, obéissaient et finissaient par nous imiter. Maintenant que nos droits n’existent plus, où trouverons-nous cette autorité ? Aussi rien ne se soutient plus, et, après une période de progrès, nous retomberons fatalement dans la barbarie primitive. Voilà comment je comprends les choses.

— Je ne les comprends pas du tout ainsi, dit Swiagesky ; pourquoi donc ne continuez-vous pas vos perfectionnements en vous aidant d’ouvriers payés ?

— Permettez-moi de vous demander par quel moyen je continuerais, manquant de toute autorité ?

« La voilà, cette force élémentaire », pensa Levine.