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Levine marcha toute la journée pour rapporter trois pièces ; en revanche, il revint avec un excellent appétit, une humeur parfaite, et une certaine excitation intellectuelle, qui résultait toujours pour lui d’un exercice physique violent.

Le soir, auprès de la table à thé, Levine se trouva assis près de la maîtresse de la maison, une blonde de taille moyenne, au visage rond embelli de jolies fossettes. Obligé de causer avec elle et sa sœur placée en face de lui, il se sentait troublé par le voisinage de cette jeune fille, dont la robe, ouverte en cœur, semblait avoir été revêtue à son intention. Cette toilette, découvrant une poitrine blanche, le déconcertait ; il n’osait tourner la tête de ce côté, rougissait, se sentait mal à l’aise, et sa gêne se communiquait à la jolie belle-sœur. La maîtresse de la maison avait l’air de ne rien remarquer, et soutenait de son mieux la conversation.

« Vous croyez que mon mari ne s’intéresse pas à ce qui est russe ? disait-elle. Bien au contraire ; il est plus heureux ici que partout ailleurs ; il a tant à faire à la campagne ! vous n’avez pas vu notre école ?

— Si fait ; c’est cette maisonnette couverte de lierre ?

— Oui, c’est l’œuvre de Nastia, dit-elle en désignant sa sœur.

— Vous y donnez vous-même des leçons ? demanda Levine en regardant comme un coupable du côté du corsage ouvert.