Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/543

Cette page a été validée par deux contributeurs.

monde n’en sera pas averti, ni mon nom déshonoré. C’est pourquoi je vous préviens que nos relations doivent rester ce qu’elles ont toujours été ; je ne chercherai à mettre mon honneur à l’abri que dans le cas où vous vous compromettriez.

— Mais nos relations ne peuvent rester ce qu’elles étaient, » dit Anna timidement en le regardant avec frayeur.

En le retrouvant avec ses gestes calmes, sa voix railleuse, aiguë et un peu enfantine, toute la pitié qu’elle avait d’abord éprouvée disparut devant la répulsion qu’il lui inspirait ; elle n’eut qu’une crainte, celle de ne pas s’expliquer d’une façon assez précise sur ce que devaient être leurs relations.

« Je ne puis être votre femme, quand je… »

Karénine eut un rire froid et mauvais.

« Le genre de vie qu’il vous a plu de choisir se reflète jusque dans votre manière de comprendre, mais je méprise et respecte trop, je veux dire que je respecte trop votre passé et méprise trop le présent pour que mes paroles prêtent à l’interprétation que vous leur donnez. »

Anna soupira et baissa la tête.

« Au reste, continua-t-il en s’échauffant, j’ai peine à comprendre que, n’ayant rien trouvé de blâmable à prévenir votre mari de votre infidélité, vous ayez des scrupules sur l’accomplissement de vos devoirs d’épouse.

— Alexis Alexandrovitch, qu’exigez-vous de moi ?

— J’exige de ne jamais rencontrer cet homme.