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rien n’existe à mes yeux en dehors de ton amour ; s’il m’appartient toujours, je me sens à une hauteur où rien ne peut m’atteindre. Je suis fière de ma situation parce que… je suis fière… » Elle n’acheva pas, des larmes de honte et de désespoir étouffaient sa voix. Elle s’arrêta en sanglotant.

Lui aussi sentit quelque chose le prendre au gosier, et pour la première fois de sa vie il se vit prêt à pleurer, sans savoir ce qui l’attendrissait le plus : sa pitié pour celle qu’il était impuissant à aider et dont il avait causé le malheur, ou le sentiment d’avoir commis une mauvaise action.

« Un divorce serait-il donc impossible ? » dit-il doucement. Elle secoua la tête sans répondre. « Ne pourrais-tu le quitter en emmenant l’enfant ?

— Oui, mais tout dépend de lui maintenant ; il faut que j’aille le rejoindre », dit-elle sèchement ; son pressentiment s’était vérifié : tout restait comme par le passé.

« Je serai mardi à Pétersbourg et nous déciderons.

— Oui, répondit-elle, mais ne parlons plus de tout cela. »

La voiture d’Anna, qu’elle avait renvoyée avec l’ordre de venir la reprendre à la grille du jardin Wrede, approchait.

Anna dit adieu à Wronsky et partit.