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la porte demain à Anna Arcadievna, dit-il au domestique en se levant.

— J’entends, Votre Excellence… Faudra-t-il apporter le thé ici ? »

Alexis Alexandrovitch se fit servir du thé, puis, en jouant avec son coupe-papier, s’approcha du fauteuil près duquel une table portait la lampe et un livre français commencé. Le portrait d’Anna, œuvre remarquable d’un peintre célèbre, était suspendu dans un cadre ovale au-dessus de ce fauteuil. Alexis Alexandrovitch lui jeta un regard. Deux yeux impénétrables lui rendirent ce regard ironiquement, presque insolemment. Tout lui parut impertinent dans ce beau portrait, depuis la dentelle encadrant la tête et les cheveux noirs, jusqu’à la main blanche et admirablement faite, couverte de bagues. Après avoir considéré cette image pendant quelques minutes, il frissonna, ses lèvres frémirent, et il se détourna avec une exclamation de dégoût. Il s’assit et ouvrit son livre ; il essaya de lire, mais ne put retrouver l’intérêt très vif que lui avait inspiré cet ouvrage sur la découverte d’inscriptions antiques ; ses yeux regardaient les pages, ses pensées étaient ailleurs. Mais sa femme ne l’occupait plus ; il pensait à une complication survenue récemment dans des affaires importantes dépendant de son service, et se sentait plus maître de cette question que jamais ; il pouvait, sans vanité, s’avouer que la conception qui avait germé dans sa pensée sur les causes de cette complication, fournissait le moyen d’en résoudre toutes les difficultés.