Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/479

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et c’était sincèrement qu’il croyait avoir été perspicace ; il se remémorait divers détails du passé, jadis innocents à ses yeux, qui lui paraissaient maintenant autant de preuves de la corruption d’Anna. « J’ai commis une erreur en liant ma vie à la sienne, mais mon erreur n’a rien eu de coupable, par conséquent je ne dois pas être malheureux. La coupable, c’est elle ; ce qui la touche ne me concerne plus, elle n’existe plus pour moi… » Il cessait de s’intéresser aux malheurs qui pouvaient la frapper ainsi que son fils, pour lequel ses sentiments subissaient le même changement ; l’important était de sortir de cette crise d’une façon sage, correcte, en se lavant de la boue dont elle l’éclaboussait, et sans que sa vie à lui, vie honnête, utile, active, fût entravée.

« Faut-il me rendre malheureux parce qu’une femme méprisable a commis une erreur ? Je ne suis ni le premier ni le dernier dans cette situation. » Et, sans parler de l’exemple historique que la belle Hélène venait de rafraîchir récemment dans toutes les mémoires, Alexis Alexandrovitch se souvint d’une série d’épisodes contemporains où des maris de la position la plus élevée avaient eu à déplorer l’infidélité de leurs femmes.

« Darialof, Poltovsky, le prince Karibanof, Dramm, oui, l’honnête et excellent Dramm, Semenof, Tchaguine ! Mettons qu’on jette un ridicule injuste sur ces hommes ; quant à moi, je n’ai jamais compris que leur malheur, et les ai toujours plaints », pensait Alexis Alexandrovitch. C’était absolument