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nacré d’une coquille ; que tout, dans cette charmante nuit, est charmant ! Et comment cette coquille a-t-elle eu le temps de se former ? J’ai regardé le ciel tout à l’heure, et n’y ai vu que deux bandes blanches ! Ainsi se sont transformées, sans que j’en eusse conscience, les idées que j’avais sur la vie. »

Il quitta la prairie et s’achemina le long de la grand’route vers le village. Un vent frais s’élevait ; tout prenait, à ce moment qui précède l’aurore, une teinte grise et triste, comme pour mieux accuser le triomphe du jour sur les ténèbres.

Levine marchait vite pour se réchauffer, en regardant la terre à ses pieds ; une clochette tinta dans le lointain. « C’est quelque voiture qui passe », se dit-il. À quarante pas de lui, venant à sa rencontre sur la grand’route, il vit une voiture de voyage attelée de quatre chevaux. La route était mauvaise, et pour éviter les ornières, les chevaux se pressaient contre le timon, mais le yamtchik[1] adroit, assis de côté sur son siège, les dirigeait si bien, que les roues ne passaient que sur la partie unie du chemin.

Levine regarda distraitement la voiture sans songer à ceux qu’elle pouvait contenir.

Une vieille femme y sommeillait, et à la portière une jeune fille jouait avec le ruban de sa coiffure de voyage ; sa physionomie calme et pensive semblait refléter une âme élevée. Elle regardait les lueurs de l’aurore au-dessus de la tête de Levine. Au moment

  1. Postillon.