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voiture pleine, elle se glissa sous la télègue pour y attacher la charge. Ivan lui indiquait comment les cordes devaient être fixées, et, sur une observation de la jeune femme, partit d’un éclat de rire bruyant. Un amour jeune, fort, nouvellement éveillé, se peignait sur ces deux visages.


CHAPITRE XII


La charrette bien cordée, Ivan sauta à terre et prit le cheval, une bête solide, par la bride, puis se mêla à la file des télègues qui regagnaient le village ; la jeune femme jeta son râteau sur la charrette, et alla d’un pas ferme se joindre aux autres travailleuses, rassemblées en groupe à la suite des voitures. Ces femmes, vêtues de jupes aux couleurs éclatantes, le râteau sur l’épaule, joyeuses et animées, commencèrent à chanter ; l’une d’elles entonna d’une voix rude et un peu sauvage une chanson que d’autres voix, fraîches et jeunes, reprirent en chœur.

Levine, couché sur la meule, voyait approcher ces femmes comme un nuage gros d’une joie bruyante, prêt à l’envelopper, à l’enlever, lui, les meules et les charrettes. Au rythme de cette chanson sauvage avec son accompagnement de sifflets et de cris aigus, la prairie, les champs lointains, tout lui parut s’animer et s’agiter. Cette gaieté lui faisait envie ; il aurait voulu y prendre part, mais ne savait exprimer