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du peintre, que l’impuissance d’exprimer ce qu’il sentait irritait doublement.

— Mais, bon Dieu, j’ai simplement cru que nous ne sortirions pas, dit sa femme d’un air contrarié.

— Pourquoi ? quand cela ?… » Il fut pris d’une quinte de toux et fit de la main un geste désolé.

Le prince souleva son chapeau et s’éloigna avec sa fille.

« Oh ! les pauvres gens, dit-il en soupirant.

— C’est vrai, papa, répondit Kitty, et ils ont trois enfants, pas de domestiques, et aucune ressource pécuniaire ! Il reçoit quelque chose de l’Académie, continua-t-elle avec animation pour tâcher de dissimuler l’émotion que lui causait le changement d’Anna Pavlovna à son égard… — Voilà Mme Stahl », dit Kitty en montrant une petite voiture dans laquelle était étendue une forme humaine enveloppée de gris et de bleu, entourée d’oreillers et abritée par une ombrelle. Derrière la malade se tenait son conducteur, un Allemand bourru et bien portant. À côté d’elle marchait un comte suédois à chevelure blonde, que Kitty connaissait de vue. Quelques personnes s’étaient arrêtées près de la petite voiture et considéraient cette dame comme une chose curieuse.

Le prince s’approcha. Kitty remarqua aussitôt dans son regard cette pointe d’ironie qui la troublait. Il adressa la parole à Mme Stahl dans ce français excellent que si peu de personnes parlent de nos jours en Russie, et se montra extrêmement aimable et poli.