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Varinka le chanta aussi bien que le premier, avec le même soin et la même perfection, toute droite près du piano, et battant la mesure de sa petite main brune.

Le morceau suivant dans le cahier était un air italien. Kitty joua le prélude et se tourna vers la chanteuse :

« Passons celui-là », dit Varinka en rougissant.

Kitty, tout émue, fixa sur elle des yeux questionneurs.

« Alors, un autre ! se hâta-t-elle de dire en tournant les pages, comprenant que cet air devait rappeler à son amie quelque souvenir pénible.

— Non, répondit Varinka en mettant tout en souriant la main sur le cahier. Chantons-le. » Et elle chanta aussi tranquillement et aussi froidement qu’auparavant.

Quand elle eut fini, chacun la remercia encore, et on sortit du salon pour prendre le thé. Kitty et Varinka descendirent au petit jardin attenant à la maison.

« Vous rattachez un souvenir à ce morceau, n’est-ce pas ? dit Kitty. Ne répondez pas ; dites seulement : c’est vrai.

— Pourquoi ne vous le dirais-je pas tout simplement ? Oui, c’est un souvenir, dit tranquillement Varinka, et il a été douloureux. J’ai aimé quelqu’un à qui je chantais cet air. »

Kitty, les yeux grands ouverts, regardait humblement Varinka sans parler.