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sa froideur avait augmenté, quoiqu’il ne semblât conserver de cette conversation qu’une certaine contrariété ; encore n’était-ce guère qu’une nuance, rien de plus.

« Tu n’as pas voulu t’expliquer avec moi, semblait-il dire, tant pis pour toi, c’est à toi maintenant de venir à moi, et à mon tour de ne pas vouloir m’expliquer. » Et il s’adressait à sa femme par la pensée, comme un homme furieux de n’avoir pu éteindre un incendie qui dirait au feu : « Brûle, va, tant pis pour toi ! »

Lui, cet homme si fin et si sensé quand il s’agissait de son service, ne comprenait pas ce que cette conduite avait d’absurde, et s’il ne comprenait pas, c’est que la situation lui semblait trop terrible pour oser la mesurer. Il préféra enfouir son affection pour sa femme et son fils dans son âme, comme en un coffre scellé et verrouillé, et prit même envers l’enfant une attitude singulièrement froide, ne l’interpellant que du nom de « jeune homme », de ce ton ironique qu’il prenait avec Anna.

Alexis Alexandrovitch prétendait n’avoir jamais eu d’affaires aussi importantes que cette année-là ; mais il n’avouait pas qu’il les créait à plaisir, afin de n’avoir pas à ouvrir ce coffre secret qui contenait des sentiments d’autant plus troublants qu’il les gardait plus longtemps enfermés.

Si quelqu’un s’était arrogé le droit de lui demander ce qu’il pensait de la conduite de sa femme, cet homme calme et pacifique se serait mis en colère