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Pendant ces premières minutes, Wronsky ne fut pas plus maître de lui-même que de sa monture.

Gladiator et Diane se rapprochèrent et franchirent la rivière presque d’un même bond ; Frou-frou s’élança légèrement derrière eux comme portée par des ailes : au moment où Wronsky se sentait dans les airs, il aperçut sous les pieds de son cheval Kouzlof se débattant avec Diane de l’autre côté de la rivière (il avait lâché les rênes après avoir sauté, et son cheval s’était abattu sous lui) ; Wronsky n’apprit ces détails que plus tard, il ne vit qu’une chose alors, c’est que Frou-frou reprendrait pied sur le corps de Diane. Mais Frou-frou, semblable à un chat qui tombe, fit un effort du dos et des jambes tout en sautant, et retomba à terre par-dessus le cheval abattu.

« Oh ma belle ! » pensa Wronsky.

Après la rivière, il reprit pleine possession de son cheval, et le retint même un peu, avec l’intention de sauter la grande barrière derrière Mahotine, qu’il ne comptait distancer que sur l’espace d’environ deux cents sagènes libre d’obstacles.

Cette grande barrière s’élevait juste en face du pavillon impérial ; l’empereur lui-même, la cour, une foule immense les regardait approcher.

Wronsky sentait tous ces yeux braqués sur lui, mais il ne voyait que les oreilles de son cheval, la terre disparaissant devant lui, la croupe de Gladiator et ses pieds blancs battant le sol en cadence, et conservant toujours la même distance en avant de