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assise dans un angle de la terrasse, cachée par des plantes et des fleurs, et n’entendit pas venir Wronsky. La tête penchée, elle appuyait son front contre un arrosoir oublié sur un des gradins ; de ses belles mains chargées de bagues qu’il connaissait si bien, elle attirait vers elle cet arrosoir. La beauté de cette tête aux cheveux noirs frisés, de ces bras, de ces mains, de tout l’ensemble de sa personne, frappait Wronsky chaque fois qu’il la voyait, et lui causait toujours une nouvelle surprise. Il s’arrêta et la regarda avec transport. Elle sentit instinctivement son approche, et il avait à peine fait un pas, qu’elle repoussa l’arrosoir et tourna vers lui son visage brûlant.

« Qu’avez-vous ? vous êtes malade ? » dit-il en français, tout en s’approchant d’elle. Il aurait voulu courir, mais, dans la crainte d’être aperçu, il jeta autour de lui et vers la porte de la terrasse un regard qui le fit rougir comme tout ce qui l’obligeait à craindre et à dissimuler.

« Non, je me porte bien, dit Anna en se levant et serrant vivement la main qu’il lui tendait. Je ne t’attendais pas.

— Bon Dieu, quelles mains froides !

— Tu m’as effrayée ; je suis seule et j’attends Serge qui est allé se promener ; ils reviendront par ici. »

Malgré le calme qu’elle affectait, ses lèvres tremblaient.

« Pardonnez-moi d’être venu, mais je ne pouvais