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« C’est fâcheux, pensa Wronsky en levant la capote de sa calèche ; il y avait de la boue, maintenant ce sera un marais. »

Et, profitant de ce moment de solitude, il prit les lettres de sa mère et de son frère pour les lire.

C’était toujours la même histoire : tous deux, sa mère aussi bien que son frère, trouvaient nécessaire de se mêler de ses affaires de cœur ; il en était irrité jusqu’à la colère, un sentiment qui ne lui était pas habituel.

« En quoi cela les concerne-t-il ? Pourquoi se croient-ils obligés de s’occuper de moi ? de s’accrocher à moi ? C’est parce qu’ils sentent qu’il y a là quelque chose qu’ils ne peuvent comprendre. Si c’était une liaison vulgaire, on me laisserait tranquille ; mais ils devinent qu’il n’en est rien, que cette femme n’est pas un jouet pour moi, qu’elle m’est plus chère que la vie. Cela leur paraît incroyable et agaçant. Quel que soit notre sort, c’est nous qui l’avons fait, et nous ne le regrettons pas, se dit-il en s’unissant à Anna dans le mot nous. Mais non, ils entendent nous enseigner la vie, eux qui n’ont aucune idée de ce qu’est le bonheur ! ils ne savent pas que, sans cet amour, il n’y aurait pour moi ni joie ni douleur en ce monde ; la vie n’existerait pas. »

Au fond, ce qui l’irritait le plus contre les siens, c’est que sa conscience lui disait qu’ils avaient raison. Son amour pour Anna n’était pas un entraînement passager destiné comme tant de liaisons mondaines à disparaître en ne laissant d’autres traces