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Wronsky savait qu’il n’en manquait pas et, qui plus est, il était fermement convaincu que personne ne pouvait en avoir plus que lui.

« Vous êtes sûr qu’une forte transpiration n’était pas nécessaire ?

— Du tout, répondit l’Anglais. Ne parlez pas haut, je vous prie, la jument s’inquiète », ajouta-t-il en faisant un signe de tête du côté de la stalle fermée où l’on entendait piétiner le cheval sur sa litière.

Il ouvrit la porte et Wronsky entra dans le box faiblement éclairé par une petite lucarne. Un cheval bai brun, avec une muselière, y foulait nerveusement la paille fraîche.

La conformation un peu défectueuse de son cheval favori sauta aux yeux de Wronsky. Frou-frou était de taille moyenne, son ossature était étroite, sa poitrine également, quoique le poitrail fût saillant ; la croupe était légèrement fuyante et les jambes, surtout celles de derrière, un peu cagneuses. Les muscles des jambes paraissaient faibles et les flancs très larges, malgré l’entraînement qu’elle avait subi et la maigreur de son ventre. Au-dessous du genou, ses jambes, vues de face, semblaient de vrais fuseaux ; vues de côté au contraire, elles étaient énormes. Sauf ses flancs, on l’aurait dite creusée des deux côtés. Mais elle avait un mérite qui faisait oublier tous ces défauts : elle avait de la race, du sang, comme disent les Anglais. Ses muscles faisaient saillie sous un réseau de veines recouvertes d’une peau lisse