Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

heur de cette entrevue, que son visage rayonna de joie au-dessus de son livre.

« Fais dire chez moi qu’on attelle au plus vite la troïka à la calèche », dit-il au garçon qui lui servait son bifteck tout chaud sur un plat d’argent. Il attira vers lui l’assiette et se servit.

On entendait dans la salle de billard voisine un bruit de billes, et des voix causant et riant ; deux officiers se montrèrent à la porte ; l’un d’eux, tout jeune à la figure délicate, était récemment sorti du corps des pages ; l’autre, gras et vieux, avait de petits yeux humides et un bracelet au bras.

Wronsky les regarda et continua à manger et à lire tout à la fois, d’un air mécontent, comme s’il ne les eût pas remarqués.

« Tu prends des forces, hein ? demanda le gros officier en s’asseyant près de lui.

— Comme tu vois, répondit Wronsky en s’essuyant la bouche et en fronçant le sourcil, toujours sans les regarder.

— Tu ne crains pas d’engraisser ? continua le gros officier et en avançant une chaise au plus jeune.

— Quoi ? demanda Wronsky en découvrant ses dents avec une grimace d’ennui et d’aversion.

— Tu ne crains pas d’engraisser ?

— Garçon, du xérès ! » cria Wronsky sans lui répondre, et il transporta son livre de l’autre côté de l’assiette pour continuer à lire.

Le gros officier prit la carte des vins, la tendit au plus jeune et lui dit :