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de quitter l’écurie, Levine sortit de la cour boueuse, et partit en pleins champs.

L’impression joyeuse qu’il avait éprouvée à la maison ne fit qu’augmenter. L’amble de son excellent cheval le balançait doucement ; il buvait à longs traits l’air déjà tiède, mais encore imprégné d’une fraîcheur de neige, car il en restait des traces de place en place ; chacun de ses arbres, avec sa mousse renaissante et ses bourgeons prêts à s’épanouir, lui faisait plaisir à voir. En sortant du bois, l’étendue énorme des champs s’offrit à sa vue, semblable à un immense tapis de velours vert ; pas de parties mal emblavées ou défoncées à déplorer, mais par-ci par-là des lambeaux de neige dans les fossés. Il aperçut un cheval de paysan et un poulain piétinant un champ ; sans se fâcher, il ordonna à un paysan qui passait de les chasser ; il prit avec la même douceur la réponse niaise et ironique du paysan auquel il demanda : « Eh bien, Ignat, sèmerons-nous bientôt ? — Il faut d’abord labourer, Constantin Dmitritch ». Plus il avançait, plus sa bonne humeur augmentait, plus ses plans agricoles semblaient se surpasser les uns les autres en sagesse : protéger les champs du côté du midi par des plantations qui empêcheraient la neige de séjourner trop longtemps ; diviser ses terres labourables en neuf parties dont six seraient fumées et trois consacrées à la culture fourragère ; construire une vacherie dans la partie la plus éloignée du domaine et y creuser un étang ; avoir des clôtures portatives pour