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maintenant si humiliée ! elle l’aurait abaissée jusqu’à terre, du divan où elle était assise, et serait tombée sur le tapis s’il ne l’avait soutenue.

« Mon Dieu, pardonne-moi ! » sanglotait-elle en lui serrant la main contre sa poitrine.

Elle se trouvait si criminelle et si coupable qu’il ne lui restait plus qu’à s’humilier et à demander grâce, et c’était de lui qu’elle implorait son pardon, n’ayant plus que lui au monde. En le regardant, son abaissement lui apparaissait d’une façon si palpable qu’elle ne pouvait prononcer d’autre parole. Quant à lui, il se sentait pareil à un assassin devant le corps inanimé de sa victime. Le corps immolé par eux, c’était leur amour, la première phase de leur amour. Il y avait quelque chose de terrible et d’odieux au souvenir de ce qu’ils avaient payé du prix de leur honte.

Le sentiment de la déchéance morale qui écrasait Anna s’empara de Wronsky. Mais, quelle que soit l’horreur du meurtrier devant le cadavre de sa victime, il faut le cacher et profiter au moins du crime commis. Et tel que le coupable qui se jette sur le cadavre avec rage, et l’entraîne pour le mettre en pièces, lui, il couvrait de baisers la tête et les épaules de son amie. Elle lui tenait la main et ne bougeait pas ; oui, ces baisers, elle les avait achetés au prix de son honneur, et cette main qui lui appartenait pour toujours était celle de son complice : elle souleva cette main et la baisa. Wronsky tomba à ses genoux, cherchant à voir ce visage qu’elle cachait sans vou-