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— Anna, au nom du ciel, ne parle pas ainsi, dit-il doucement. Je me trompe peut-être, mais crois bien que ce que je te dis est autant pour toi que pour moi : je suis ton mari et je t’aime. »

Le visage d’Anna s’assombrit un moment, et l’éclair moqueur de ses yeux s’éteignit ; mais le mot « aimer » l’irrita. « Aimer, pensa-t-elle, sait-il seulement ce que c’est ? Est-ce qu’il peut aimer ? S’il n’avait pas entendu parler d’amour, il aurait toujours ignoré ce mot. »

« Alexis Alexandrovitch, je ne te comprends vraiment pas, dit-elle : explique-moi ce que tu trouves…

— Permets-moi d’achever. Je t’aime, mais je ne parle pas pour moi ; les principaux intéressés sont ton fils et toi-même. Il est fort possible, je le répète, que mes paroles te semblent inutiles et déplacées, peut-être sont-elles le résultat d’une erreur de ma part : dans ce cas, je te prie de m’excuser ; mais si tu sens toi-même qu’il y a un fondement quelconque à mes observations, je te supplie d’y réfléchir et, si le cœur t’en dit, de t’ouvrir à moi. »

Alexis Alexandrovitch, sans le remarquer, disait tout autre chose que ce qu’il avait préparé.

« Je n’ai rien à te dire, et, ajouta-t-elle vivement en dissimulant avec peine un sourire, il est vraiment temps de dormir. »

Alexis Alexandrovitch soupira et, sans rien ajouter, se dirigea vers sa chambre à coucher.

Quand elle y entra à son tour, il était couché.