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tout soulagé d’avoir trouvé une loi qu’il pût appliquer aux circonstances qui venaient de surgir.

« Ainsi, continua-t-il, les questions relatives à ses sentiments sont des questions de conscience auxquelles je n’ai pas à toucher. Mon devoir se dessine clairement. Obligé, comme chef de famille, de la diriger, de lui indiquer les dangers que j’entrevois, responsable que je suis de sa conduite, je dois au besoin user de mes droits. »

Et Alexis Alexandrovitch fit mentalement un plan de ce qu’il devait dire à sa femme, tout en regrettant la nécessité d’employer son temps et ses forces intellectuelles à des affaires de ménage ; malgré lui, ce plan prit dans sa tête la forme nette, précise et logique d’un rapport.

« Je dois lui faire sentir ce qui suit : 1o la signification et l’importance de l’opinion publique ; 2o le sens religieux du mariage ; 3o les malheurs qui peuvent rejaillir sur son fils ; 4o les malheurs qui peuvent l’atteindre elle-même. » Et Alexis Alexandrovitch serra ses mains l’une contre l’autre en faisant craquer les jointures de ses doigts. Ce geste, une mauvaise habitude, le calmait et l’aidait à reprendre l’équilibre moral dont il avait si grand besoin.

Un bruit de voiture se fit entendre devant la maison, et Alexis Alexandrovitch s’arrêta au milieu de la salle à manger. Des pas de femme montaient l’escalier. Son discours tout prêt, il resta là, debout, serrant ses doigts pour les faire craquer encore :