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moi dans l’avenir. Je ne vois en perspective que le malheur, le désespoir, ou le bonheur, et quel bonheur ! Est-il vraiment impossible ? » murmura-t-il des lèvres, sans oser prononcer les mots ; mais elle l’entendit.

Toutes les forces de son intelligence semblaient n’avoir d’autre but que de répondre comme son devoir l’exigeait ; mais, au lieu de parler, elle le regardait les yeux pleins d’amour, et se tut.

« Mon Dieu, pensa-t-il avec transport, au moment où je désespérais, où je croyais n’y jamais parvenir, le voilà l’amour ! elle m’aime, c’est un aveu !

— Faites cela pour moi, soyons bons amis et ne me parlez plus jamais ainsi, — dirent ses paroles ; son regard parlait différemment.

— Jamais nous ne serons amis, vous le savez vous-même. Serons-nous les plus heureux ou les plus malheureux des êtres ? c’est à vous d’en décider. »

Elle voulut parler, mais il l’interrompit.

« Tout ce que je demande, c’est le droit d’espérer et de souffrir comme en ce moment ; si c’est impossible, ordonnez-moi de disparaître et je disparaîtrai. Jamais vous ne me verrez plus si ma présence vous est pénible.

— Je ne vous chasse pas.

— Alors ne changez rien, laissez les choses telles qu’elles sont, dit-il d’une voix tremblante. Voilà votre mari. »

Effectivement Alexis Alexandrovitch entrait en