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Était-ce bien Annouchka qui était là auprès d’elle, ou une étrangère ? « Qu’est-ce qui est là, suspendu au crochet ? une pelisse ou un animal ? » La peur de se laisser aller à cet état d’inconscience la prit ; elle sentait qu’elle y pouvait encore résister par la force de la volonté. Pour tâcher de reprendre possession d’elle-même, Anna se leva, ôta son plaid, son col de fourrure et crut un moment s’être remise. Un homme maigre, vêtu, comme un paysan, d’une longue souquenille jaunâtre à laquelle il manquait un bouton, entra. Elle reconnut en lui l’homme qui chauffait le poêle, le vit regarder le thermomètre, et remarqua comme le vent et la neige s’introduisaient à sa suite dans le wagon ; puis tout se confondit de nouveau. Le paysan à grande taille se mit à grignoter quelque chose au mur ; la vieille dame étendit ses jambes et en remplit tout le wagon comme d’un nuage noir ; puis elle crut entendre un bruit étrange, quelque chose qui se déchirait en grinçant ; un feu rouge et aveuglant brilla pour disparaître derrière un mur.

Anna se sentit tomber dans un fossé.

Toutes ces sensations étaient plus amusantes qu’effrayantes. La voix de l’homme couvert de neige lui cria un nom à l’oreille. Elle se souleva, reprit ses sens, et comprit qu’on approchait d’une station et que cet homme était le conducteur. Aussitôt elle demanda son châle et son col de fourrure à Annouchka, les mit, et se dirigea vers la porte.

« Madame veut sortir ? demanda Annouchka.