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tinctivement — Et quel beau troupeau, quand la fille de Pava sera devenue une vache rouge et blanche : nous sortirons, ma femme et moi avec quelques visiteurs pour les voir rentrer. Ma femme dira : « Kostia et moi avons élevé cette génisse comme un enfant. — Comment cela peut-il vous intéresser ? dira le visiteur. — Ce qui l’intéresse m’intéresse aussi. — Mais qui sera-t-elle ? » Et il se rappela ce qui s’était passé à Moscou… « Qu’y faire ? Je n’y peux rien. Mais maintenant tout marchera autrement. C’est une sottise que de se laisser dominer par son passé, il faut lutter pour vivre mieux, beaucoup mieux… » Il leva la tête et se perdit dans ses pensées. La vieille Laska, qui n’avait pas encore bien digéré son bonheur d’avoir revu son maître, était allée faire un tour dans la cour en aboyant ; elle rentra dans la chambre, agitant sa queue de satisfaction et rapportant l’odeur de l’air frais du dehors, s’approcha de lui, glissa sa tête sous sa main et réclama une caresse en geignant plaintivement.

« Il ne lui manque que la parole, dit la vieille Agathe : ce n’est qu’un chien pourtant : mais il comprend que le maître est de retour et qu’il est triste.

— Pourquoi triste ?

— Ne le vois-je donc pas, petit père ? Il est temps que je connaisse les maîtres, n’ai-je pas grandi avec eux ? Pourvu que la santé soit bonne et la conscience pure, le reste n’est rien. »

Levine la regarda attentivement, s’étonnant de la voir ainsi deviner ses pensées.