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sant comme d’habitude : « Permettez-moi de m’asseoir, mon petit père », — il sentit, chose étrange, qu’il n’avait pas renoncé à ses rêveries, et qu’il ne pouvait vivre sans elles. Serait-ce Kitty ou une autre, mais cela serait. Ces images d’une vie de famille future occupaient son imagination, tout en s’arrêtant parfois pour écouter les bavardages d’Agathe Mikhaïlovna. Il sentait que, dans le fond de son âme quelque chose se modérait, mais aussi se fixait irrévocablement.

Agathe Mikhaïlovna racontait comment Prokhor avait oublié Dieu et, au lieu de s’acheter un cheval avec l’argent donné par Levine, s’était mis à boire sans trêve, et avait battu sa femme presque jusqu’à la mort ; et, tout en écoutant, il lisait son livre, et retrouvait le fil des pensées éveillées en lui par cette lecture. C’était un livre de Tyndall sur la chaleur. Il se souvint d’avoir critiqué Tyndall sur la satisfaction avec laquelle il parlait de la réussite de ses expériences, et sur son manque de vues philosophiques. Et tout à coup une idée joyeuse lui traversa l’esprit : « Dans deux ans je pourrai avoir deux hollandaises, et Pava elle-même sera encore là ; douze filles de Berkut pourront être mêlées au troupeau ! Ce sera superbe ! » Et il se reprit à lire : « Eh bien, mettons que l’électricité et la chaleur ne soient qu’une seule et même chose, mais peut-on employer les mêmes unités dans les équations qui servent à résoudre cette question ? Non. Eh bien alors ? Le lien qui existe entre toutes les forces de la nature se sent de reste, ins-