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— Qui moi ? » répéta la voix de Nicolas sur un ton irrité. Levine l’entendit se lever vivement en s’accrochant à quelque chose, et vit se dresser devant lui la haute taille, maigre et courbée de son frère, dont l’aspect sauvage, hagard et maladif lui fit peur.

Il avait encore maigri depuis la dernière fois que Constantin l’avait vu, trois ans auparavant ; il portait une redingote écourtée ; sa structure osseuse, ses mains, tout paraissait plus grand. Ses cheveux étaient devenus plus rares, ses moustaches se hérissaient autour de ses lèvres comme autrefois, et il avait le même regard effrayé qui se fixa sur son visiteur avec une sorte de naïveté.

« Ah ! Kostia ! » s’écria-t-il tout à coup en reconnaissant son frère, et ses yeux brillèrent de joie ; puis, se tournant vers le jeune homme, il fit de la tête et du cou un mouvement nerveux, bien connu de Levine, comme si sa cravate l’eût étranglé, et une expression toute différente, sauvage et cruelle, se peignit sur son visage amaigri.

« Je vous ai écrit, à Serge Ivanitch et à vous, mais je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaître. Que veux-tu, que voulez-vous de moi ? »

Constantin avait oublié ce que cette nature offrait de mauvais, de difficile à supporter, et qui rendait impossible toute relation de famille ; il s’était représenté son frère tout autre, en pensant à lui ; maintenant, en revoyant ces traits, ces mouvements de tête bizarres, le souvenir lui revint.

« Mais je ne veux rien de toi, répondit-il avec une