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— Eh bien, si je dois y aller, je me consolerai par la pensée de vous faire plaisir. Grisha, ne me décoiffe pas davantage, dit-elle en rajustant une natte avec laquelle l’enfant jouait.

— Je vous vois au bal en toilette mauve.

— Pourquoi en mauve précisément ? demanda Anna en souriant. Allez, mes enfants, vous entendez que miss Hull vous appelle pour le thé, dit-elle en envoyant les enfants dans la salle à manger. Je sais pourquoi vous voulez de moi à cette soirée ; vous en attendez un grand résultat.

— Comment le savez-vous ? C’est vrai.

— Oh ! le bel âge que le vôtre ! continua Anna. Je me souviens de ce nuage bleu qui ressemble à ceux que l’on voit en Suisse sur les montagnes. On aperçoit tout au travers de ce nuage, à cet âge heureux où finit l’enfance, et tout ce qu’il recouvre est beau, est charmant ! Puis apparaît peu à peu un sentier qui se resserre et dans lequel on entre avec émotion, quelque lumineux qu’il semble… Qui n’a pas passé par là !

Kitty écoutait en souriant. « Comment a-t-elle passé par là ? pensait-elle ; que je voudrais connaître son roman ! » Et elle se rappela l’extérieur peu poétique du mari d’Anna.

« Je suis au courant, continua celle-ci ; Stiva m’a parlé ; j’ai rencontré Wronsky ce matin à la gare, il me plaît beaucoup.

— Ah ! il était là ? demanda Kitty en rougissant. Qu’est-ce que Stiva vous a raconté ?