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« Vous avez remis 200 roubles au sous-chef de gare. Veuillez indiquer, monsieur, l’usage auquel vous destinez cette somme.

— C’est pour la veuve, répondit Wronsky en haussant les épaules ; à quoi bon cette question ?

— Vous avez donné cela ? — cria Oblonsky derrière lui ; et, serrant le bras de sa sœur, il ajouta :

— Très bien, très bien ! n’est-ce pas que c’est un charmant garçon ? Mes hommages, comtesse. »

Et il s’arrêta avec sa sœur pour chercher la femme de chambre de celle-ci.

Quand ils sortirent de la gare, la voiture des Wronsky était déjà partie ; on parlait de tous côtés du malheur qui venait d’arriver.

« Quelle mort affreuse ! disait un monsieur en passant près d’eux. On dit qu’il est coupé en deux.

— Quelle belle mort, au contraire, fit observer un autre : elle a été instantanée.

— Comment ne prend-on pas plus de précautions », dit un troisième.

Mme Karénine monta en voiture, et son frère remarqua avec étonnement que ses lèvres tremblaient, et qu’elle retenait avec peine ses larmes.

« Qu’as-tu, Anna ? lui demanda-t-il quand ils furent un peu éloignés.

— C’est un présage funeste, répondit-elle.

— Quelle folie ! dit son frère. Tu es ici, c’est l’essentiel. Tu ne saurais croire combien je fonde d’espérances sur ta visite.