Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visage meurtri, tuméfié, et, m’oubliant pour la première fois, oubliant mes droits, mon orgueil, pour la première fois je vis en elle un être humain. Et tout ce qui m’offensait naguère, toute ma jalousie, m’apparut maintenant si petit, et au contraire ce que j’avais fait m’apparut si important, que j’eus envie de m’incliner, d’approcher mon visage de sa main et de dire : « Pardon ! ». Mais je n’osai pas. Elle se taisait, les paupières baissées, n’ayant évidemment plus la force de parler. Puis, son visage déformé se mit à trembler, à se rider ; elle me repoussa faiblement :

« — Pourquoi tout cela est-il arrivé… pourquoi ?

« — Pardonne-moi, » dis-je.

« — Pardonner ? Tout cela n’est rien. Seulement ne pas mourir ! » s’écria-t-elle soudain. Et ses yeux brillèrent fiévreusement.

« — Ah ! tu es arrivé à ce que tu voulais. Je te hais ! Ah ! Ah ! »

Puis elle commença à délirer. Elle avait peur ; elle criait :

« — Tue, je n’ai pas peur… Mais frappe-les tous… Il est parti… Il est parti…

Le délire continua. Elle ne reconnaissait plus personne. Le même jour, vers midi, elle mourut. Moi, je fus arrêté avant, à huit heures du matin. On me mena au poste de police, puis en prison. Là, pendant onze mois de prévention je réfléchis sur moi,