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avoir échangé plusieurs questions, il lui raconta sa vie et lui dit sa résolution.

L’étranger écoutait attentivement, demandait des détails, mais lui-même n’exprimait pas son opinion. Quand Jules eut terminé, l’inconnu rangea dans son sac les provisions qui lui restaient, rajusta son habit et dit :

— Ne fais pas cela, jeune homme ; tu es dans l’erreur. Je connais la vie, tu ne la connais pas. Je connais des chrétiens, toi tu ne les connais pas. Écoute, je vais t’exposer toute ta vie et tes pensées, et quand tu les auras entendues de moi, tu prendras la décision que tu jugeras la meilleure. Tu es jeune, riche, beau, vigoureux ; les passions bouillonnent en toi. Tu cherches une retraite calme dans laquelle tu ne seras plus troublé par ces passions afin d’éviter les souffrances qu’elles produisent, et tu penses trouver cette retraite parmi les chrétiens. Mon cher jeune homme, il n’existe pas de refuge pareil, parce que le mal dont tu souffres ne se trouve ni en Cilicie ni à Rome mais en toi-même. Dans le calme de la solitude des champs, ces passions te tourmenteront cent fois plus. La faute ou l’erreur des chrétiens (je ne veux pas les juger) consiste précisément en ce qu’ils méconnaissent complètement la nature humaine. Les seules personnes qui puissent réellement mettre en pratique leurs préceptes, ce sont les vieillards, en qui toutes les passions sont éteintes. Un homme