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les pensées les plus cordiales, je m’assis sur le lit, en silence, et n’ôtai pas les yeux de sa bonne figure.

— Vous n’êtes plus un enfant et vous pouvez comprendre. Je vous raconterai mon histoire et tout ce que j’ai supporté dans cette vie. Un jour viendra, où vous vous rappellerez le vieil ami qui vous aimait beaucoup, enfants !…

Karl Ivanovitch s’accouda sur la table qui était près de lui, huma une prise de tabac, et en levant les yeux au ciel, de cette voix de gorge, monotone, qu’il prenait à l’ordinaire pour nous faire la dictée, il commença son récit par ces mots :

Je fus malheureux dès le sein de ma mère. Das Unglück verfolgte mich schon im Schosse meiner Mutter répéta-t-il encore, avec la même expression.

Puisque Karl Ivanovitch m’a plus d’une fois raconté son histoire, et dans le même ordre, avec la même expression et les mêmes intonations invariables, j’espère la rendre presque mot à mot. Était-ce réellement son histoire ou le produit de sa fantaisie, né pendant sa vie solitaire dans notre maison et auquel il commençait à croire lui-même à force de le répéter, ou seulement ornait-il de faits fantaisistes les événements réels de sa vie ? jusqu’à ce jour, je ne saurais le dire. D’un cóté, il racontait son histoire avec un sentiment trop vif, avec trop de suite et de méthode, — et ce sont les