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— Reprenez ce sale torchon et donnez-moi un mouchoir propre, ma chère.

Gacha s’approcha du chiffonnier, fit jouer un tiroir et le frappa si fort que les vitres en tremblèrent. Grand’mère nous regardait tous sévèrement et suivait fixement tous les gestes de la femme de chambre. Lorsque celle-ci lui eut remis, à ce qu’il me semble, le même mouchoir, grand’mère dit :

— Quand donc me râperez-vous du tabac, ma chère ?

— Je vous en râperai quand j’aurai le temps.

— Que dites-vous ?

— J’en râperai aujourd hui.

— Si vous ne voulez pas me servir, ma chère, mieux valait le dire, il y a longtemps que je vous aurais renvoyée.

— Renvoyez-moi, on n’en pleurera pas, — marmonna à mi-voix la femme de chambre.

À ce moment, le docteur commença à lui faire signe des yeux, mais elle le regarda avec tant de colère et de résolution qu’il se détourna aussitôt et s’occupa de la petite clef de sa montre.

— Vous voyez, mon cher, — dit grand’mère en s’adressant à papa, lorsque Gacha, tout en continuant à marmonner, eut quitté la chambre. — Vous voyez comme on me parle dans ma maison.

— Permettez, maman, je vous râperai moi-même du tabac, — fit papa, visiblement très embarrassé à cette apostrophe inattendue.