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seaux. — Mais ce sont des larmes d’amour et de bonheur.

Quand après je monte en haut, et m’agenouille devant les icônes, dans ma robe de chambre ouatée, quel sentiment étrange j’éprouve en disant : « Seigneur, sauve papa et maman ! » Quand je répète les prières que balbutièrent pour la première fois mes lèvres d’enfant, après ma mère bien-aimée, mon amour pour elle et pour Dieu se fondent étrangement dans une même extase.

Après la prière je me glisse sous ma petite couverture, et mon âme est calme, claire, légère ; les rêves succèdent aux rêves, mais quels sont-ils ? Ils sont insaisissables mais pleins d’amour pur et de l’espoir d’un bonheur sans nuage. Je songe parfois au triste sort de Karl Ivanovitch, — le seul homme que je sache malheureux, et il me fait tant de peine et je l’aime tant, que des larmes coulent de mes yeux et que je dis : Dieu lui donne le bonheur et à moi la possibilité de le secourir et de soulager sa douleur ; et je suis prêt à tout sacrifier pour lui. Après je prends mon jouet favori — un petit lapin ou un chien en faïence — je l’enfonce dans le coin de mon oreiller de duvet et j’admire comme il est bien là et comme il a chaud. Je prie encore Dieu pour qu’il donne le bonheur à tous, pour que tous soient contents, et qu’il fasse beau demain pour la promenade ; je me retourne de l’autre côté, les pensées et les rêves se mêlent,