Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

du côté des hommes, on entendait des voix de plus en plus hautes, surtout celle du colonel de hussards qui avait tant bu et tant mangé qu’il en devenait de plus en plus rouge, si bien que le comte le citait comme exemple aux autres. Berg, avec un sourire tendre, disait à Véra que l’amour n’est pas un sentiment terrestre, mais céleste. Boris nommait à son nouvel ami Pierre, les invités qui se trouvaient autour de la table, et échangeait des regards avec Natacha assise en face de lui. Pierre parlait peu, regardait les nouveaux visages et mangeait beaucoup. Depuis les deux soupes, entre lesquelles il choisit à la tortue, et les pâtés, jusqu’aux perdrix, il ne laissa pas passer un seul plat et pas un seul des vins que le maître d’hôtel, dans une bouteille enveloppée d’une serviette, tirait mystérieusement de l’épaule du voisin en disant : « dry madère » ou « Hongrois », ou « Vin du Rhin. » Il prit le premier des quatre petits verres en cristal, avec le blason de comte, qui étaient devant chaque couvert et but avec plaisir puis regarda les autres avec un plaisir de plus en plus grand. Natacha, qui était assise vis-à-vis de lui, regardait Boris, comme les fillettes de treize ans regardent le jeune homme qu’elles ont embrassé pour la première fois et dont elles sont amoureuses. Parfois elle jetait ce même regard à Pierre, et, sous le regard de cette fillette drôle et animée, lui-même voulait rire, sans savoir de quoi.