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la guerre, annoncée par un manifeste, et du recrutement. Personne encore n’avait lu le manifeste, mais tous savaient qu’il avait paru. Le comte était assis sur l’ottomane entre deux fumeurs qui causaient ensemble. Le comte ne fumait pas et ne causait pas, mais il inclinait la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, regardait les fumeurs avec un plaisir visible, et écoutait la conversation qu’il avait établie entre les deux voisins.

L’un des interlocuteurs était un civil au visage ridé, bilieux, rasé et maigre ; il approchait déjà de la vieillesse bien qu’habillé comme le jeune homme le plus élégant. Il s’était installé les deux jambes sur l’ottomane, comme un hôte très familier, et l’ambre enfoncée très profondément, d’un côté de la bouche, il aspirait la fumée, bruyamment et en clignant des yeux. C’était un vieux célibataire, Chinchine, cousin germain de la comtesse, une méchante langue, comme on disait de lui dans les salons de Moscou.

Quand il parlait, il semblait condescendre jusqu’à son interlocuteur. L’autre, un officier de la garde, était frais, rose, d’une propreté irréprochable, boutonné et bien peigné. Il tenait l’ambre au milieu de la bouche, et de ses lèvres rouges aspirait à peine la fumée, et la laissait échapper en petits ronds. C’était le lieutenant Berg, officier du régiment de Sémenovsky, où Boris allait partir et par qui Natacha agaçait Véra, sa sœur