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— Quel moujik ? Un des nôtres ?

— Non, un passant.

Le cocher Ivan, en traînant ses gros sabots sur l’herbe fauchée, et le gros gérant Iakov, tout essoufflé, courent vers l’étang ; moi, je les suis.

Je me rappelle cette voix qui me disait : « Voilà, jette-toi à l’eau et sauve le moujik. Sauve-le, et tous t’admireront, » ce que précisément je désirais.

— Où donc ? Où ? — j’interroge la foule des domestiques réunis sur le bord.

— Là-bas, au milieu du courant, de l’autre côté, près des bains, — dit une laveuse en installant le linge mouillé sur une palanche.

Je regarde. Il plonge, remonte, disparaît, se montre encore et tout à coup crie : « Je me noie, mes amis ! » et de nouveau il s’enfonce ; seules des bulles se montrent. Alors je comprends que le moujik se noie, et je pousse un cri : « Petits pères ! le moujik se noie ! »

Et la laveuse, la palanche posée sur l’épaule, en se penchant d’un côté, s’éloigne par le sentier de l’étang.

— En voilà un péché, — dit d’une voix désespérée le gérant Ikov Ivanov, — quel ennui nous aurons maintenant avec la justice du district : on en aura plein le dos.

Un moujik porteur d’une faulx se fraye un passage à travers la foule des femmes, des enfants,