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— Que je ne t’aime pas ! Dis ! Dis ! — Et des larmes coulèrent de mes yeux. Je m’assis sur le banc et cachai mon visage dans mon mouchoir.

« Voilà comme il m’a comprise », — pensai-je en tâchant de retenir les sanglots qui m’oppressaient.

« Fini, fini, notre ancien amour », disait une voix dans mon cœur. Il ne s’approchait pas de moi, ne me consolait pas ; il était offensé de ce que j’avais dit. Sa voix était calme et sèche.

— Je ne sais pas ce que tu me reproches, — commença-t-il. — Si c’est de ne pas t’aimer comme auparavant…

— Aimer ! — prononçai-je dans mon mouchoir ; et des larmes chaudes se mirent à couler plus abondantes.

— … C’est la faute du temps et de nous-mêmes. Chaque saison a son amour… — Il se tut. — Veux-tu que je te dise toute la vérité ? Veux-tu la franchise ? De même que cette année, quand je t’ai connue, j’ai passé des nuits sans sommeil pensant à toi et à mon amour, — et mon amour grandissait, grandissait dans mon cœur, — de même à Pétersbourg, à l’étranger, j’ai passé d’horribles nuits sans dormir, j’ai brisé et détruit cet amour qui me faisait souffrir. Je ne l’ai pas détruit, j’ai détruit seulement ce qui me tourmentait ; je me suis tranquillisé, et j’aime encore, mais d’un autre amour…

— Oui, tu appelles cela de l’amour, mais c’est une souffrance — prononçai-je. — Pourquoi m’as-