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vais tout bien, mais il me semblait que tout devait être précisément ainsi et non autrement et que cela devait arriver, à tous, mais qu’il y avait quelque part encore un autre bonheur, pas plus grand peut-être mais différent.

Deux mois s’écoulèrent ainsi ; l’hiver vint avec le froid et les tourmentes de neige, et moi, malgré sa présence je commençai à me sentir seule, à sentir que la vie se répétait et qu’il n’y avait ni en moi, ni en lui, rien de nouveau et qu’au contraire nous paraissions retourner à l’ancien. Il commença à s’occuper de ses affaires, sans moi, plus qu’auparavant, et de nouveau il me sembla voir en son âme un monde particulier où il ne voulait pas me laisser entrer. Son calme perpétuel m’agaçait. Je ne l’aimais pas moins qu’auparavant, j’étais heureuse de son amour, mais mon amour s’arrêtait et ne grandissait plus, et outre l’amour, un sentiment nouveau, inquiet commençait à se glisser en mon âme. Pour moi, c’était peu d’aimer après avoir éprouvé le bonheur d’aimer pour la première fois. Je désirais le mouvement et non le cours tranquille de la vie. Je voulais des émotions, des dangers et des sacrifices d’amour. J’avais en moi un excédent de forces qui ne savait où s’employer dans notre vie calme. J’étais prise de crises d’ennui que j’essayais de lui cacher comme quelque chose de mauvais, et des heures de tendresse et de gaîté exubérantes qui l’effrayaient. Il remarqua le pre-