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haut et que Tatiana Sémionovna, qui voulait que nous nous couchions de bonne heure, ne songeât pas à nous. Parfois, ayant faim, nous allions tout doucement au buffet ; avec la protection de Nikita, nous nous procurions un souper froid et mangions à la lueur d’une seule bougie, dans mon cabinet de travail. Nous vivions comme des étrangers dans cette vieille et grande maison où planait au-dessus de tout l’esprit sévère des temps anciens et de Tatiana Sémionovna. Non seulement elle, mais les domestiques, la vieille bonne, les meubles, les tableaux, m’inspiraient du respect, une certaine peur et la conscience qu’ici nous n’étions pas tout à fait à notre place, qu’il nous fallait agir très prudemment, en regardant autour de nous.

Quand j’y songe, maintenant, je comprends combien incommodes et désagréables étaient cet ordre immuable qui nous liait et cette foule de gens oisifs, curieux, de notre maison. Mais alors cette gêne même avivait encore plus notre amour. Non seulement moi, mais lui aussi, nous nous gardions de montrer que quelque chose nous déplaisait. Au contraire, il paraissait même se dissimuler ce qui était mauvais. Le valet de ma belle-mère, Dmitrï Sidérov, grand amateur de la pipe, chaque jour régulièrement, après le dîner, quand nous étions au divan, allait dans le cabinet de mon mari prendre du tabac dans sa boîte, et il fallait voir avec quelle peur gaie Sergueï Mikhaïlovitch s’approchait de