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envahir mon âme en l’emplissant de bonheur.

Souvent, durant cet été, j’allais en haut dans ma chambre, je me mettais au lit et au lieu de l’ennui printanier d’autrefois, au lieu des désirs et des espoirs de l’avenir, le trouble du bonheur présent m’empoignait. Je ne pouvais m’endormir, je me levais, m’asseyais sur le lit de Katia et je lui disais que je me sentais tout à fait heureuse, et, comme je me le rappelle maintenant, il n’était pas nécessaire de le lui dire, elle le voyait elle-même. Mais elle me disait, qu’à elle non plus il ne lui fallait rien, qu’elle était très heureuse, et elle m’embrassait. Je le croyais et il me semblait nécessaire et juste que tous fussent heureux. Mais Katia pouvait quand même songer au sommeil et, feignant d’être fâchée, elle me chassait de son lit et s’endormait. Et moi, je réfléchissais longuement à tout ce dont j’étais si heureuse.

Parfois je me levais et priais en choisissant mes propres paroles, pour remercier Dieu de tout ce qu’il me donnait.

La chambre était silencieuse, seule Katia respirait régulièrement : sa montre, près d’elle, faisait tic-tac, et moi, je me tournais et murmurais des paroles, ou je baisais la croix suspendue à mon cou. Les portes étaient fermées, les fenêtres avaient des vasistas. Une mouche bourdonnait à la même place ; et je voulais ne jamais sortir de cette chambre, je ne voulais pas que le matin arrivât,