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il n’y avait actuellement qu’un franc cinquante, avec quoi il devait manger et se loger ce soir. Chaque année, dix-huit fois de suite déjà, il parcourait les endroits les plus fréquentés de la Suisse. Zurich, Lucerne, Interlaken, Chamonix, etc. Par le Saint-Bernard il allait en Italie et retournait en Suisse par le Saint-Gothard ou la Savoie. Maintenant la marche lui devenait pénible, il sentait que son mal de jambes, qu’il appelait gliederzücht, empirait chaque année, et que ses yeux et sa voix devenaient plus faibles. Malgré cela, il allait partir à Interlaken, Aix-les-Bains et, par le petit Saint-Bernard, pour l’Italie, qu’il aimait particulièrement. En général il semblait très content de sa vie. Quand je lui demandai pourquoi il retournait au pays, s’il y avait des parents ou une maison ou des terres, sa bouche se plissa dans un petit sourire heureux et il me répondit :

Oui, le sucre est bon, il est doux pour les enfants, et il cligna des yeux sur le valet. Je ne compris pas ; des rires éclatèrent dans le groupe des valets.

— Il n’y a rien. Je n’ai rien, autrement marcherais-je ainsi, m’expliqua-t-il, mais je vais au pays parce que, malgré tout, quelque chose m’y attire.

Et encore une fois, avec un sourire rusé et heureux, il répéta la phrase : « Oui, le sucre est bon, » et rit de bon cœur. Les valets s’amusaient fort et pouffaient de rire, seule la récureuse boiteuse, aux