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nous puissions venir chez eux, alors, maudit ! tu essaieras la baïonnette russe ! — prononça si haut le commandant de la compagnie que le commandant du bataillon dut lui faire dire de se taire et de faire moins de bruit.

Après, cela la première compagnie se leva, puis la deuxième. On donna l’ordre de descendre les armes, et le bataillon marcha en avant. Pest avait si peur qu’il ne se souvenait pas du tout combien de temps on avait marché, où on allait et ce qu’on avait fait. Il marchait comme un homme ivre. Mais soudain de tous côtés brillèrent des milliers de feux. Quelque chose sifflait, craquait. Il cria et s’enfuit au hasard parce que tous criaient et s’enfuyaient. Ensuite il buta contre quelque chose et tomba. C’était le commandant de la compagnie. (Il marchait en avant et avait été blessé, et, prenant le junker pour un Français, il l’attrapait par la jambe.) Quand le junker dégagea sa jambe et se souleva, derrière lui, dans l’obscurité, surgit un homme qui de nouveau faillit le renverser. Un autre cria : « Perce-le ! Qu’est-ce que tu attends ainsi ! » Quelqu’un prit le fusil et enfonça la baïonnette dans quelque chose de mou. « Ah Dieu ! » cria une voix terrible, perçante, et alors seulement Pest comprit qu’il avait tué un Français. Une sueur froide couvrit son corps, il trembla comme saisi de fièvre, et jeta le fusil. Mais ce ne fut que l’affaire d’un moment ; aussitôt il lui vint