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bougeoir de cristal dont mon frère m’a fait cadeau pour ma fête, et mets-y une chandelle.

Enfin tout était prêt. Lisa, malgré l’intervention de sa mère, arrangeait à sa fantaisie la chambrette pour les deux officiers. Elle avait sorti du linge blanc parfumé au réséda qui embaumait les lits, donné l’ordre de mettre une carafe d’eau et des chandelles sur la petite table, de brûler du papier odorant dans la chambre des bonnes, et elle-même installait son petit lit dans la chambre de son oncle.

Anna Fédorovna se calma un peu, se rassit à sa place, prit même les cartes, mais sans les disposer, s’appuya sur son coude potelé et devint pensive : « Le temps, le temps, comme il vole ! » murmurait-elle. « Cela semble d’hier ! Je le vois comme maintenant, Ah ! quel polisson c’était ! » Et des larmes parurent dans ses yeux. « Maintenant Lisanka… mais elle n’est pas ce que j’étais à son âge… Une jolie fille, mais non, pas ça… »

— Lisanka, tu ferais mieux de prendre ce soir ta robe de mousseline de laine.

— Les inviterez-vous, maman ? Il vaut mieux ne pas les inviter — prononça Lisa, très émue à la pensée de voir les officiers. — C’est mieux, maman.

En effet, elle ne désirait pas tant les voir qu’elle n’avait peur du bonheur qui, lui semblait-il, l’attendait et dont à l’avance elle était émue.