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il est vrai de petites blessures d’amour propre en voyant les voisines coiffées de chapeaux à la mode achetés à K***, qui se tenaient près d’elle à l’église ; elle était dépitée jusqu’aux larmes par les caprices de sa vieille mère grognon ; enfin des rêves d’amour sous les formes ineptes et parfois grossières la hantaient, mais l’activité utile devenue nécessité les dissipait, et à vingt-deux ans, l’âme limpide, tranquille, pleine de beauté physique et morale, la jeune fille développée n’était souillée d’aucune tache, d’aucun remords de conscience. Lisa était de taille moyenne, plutôt grasse que maigre ; ses yeux étaient bruns, pas grands, un cercle légèrement sombre soulignait la paupière inférieure. Elle avait une longue tresse blonde. Son allure était large, cadencée, celle d’une cane comme on dit. L’expression de son visage, quand elle était occupée et que rien de particulier ne le troublait semblait dire à tous ceux qui la regardaient : « Il est bon et gai de vivre pour celui qui a quelqu’un à aimer et dont la conscience est pure». Même aux moments de dépit, de gêne, de trouble ou de tristesse, à travers les larmes, malgré le sourcil gauche froncé, les petites lèvres serrées, contre sa volonté, sur les fossettes des joues, le bout des lèvres et dans les yeux, habitués à sourire et à se réjouir de la vie, brillait le cœur bon, loyal, non gâté par l’esprit.