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C’est peu, mais selon eux je suis de plus un mendiant, un homme abject. Voilà, tout à l’heure, je vous ai demandé de l’argent, et vous avez le droit de me mépriser. Non, prenez votre argent, et il me tendit le billet froissé. Je veux que vous m’estimiez. — Il cacha son visage dans ses mains et se mit à pleurer. Je ne savais absolument que dire et que faire.

— Calmez-vous, — lui dis-je. — Vous êtes trop sensible. Ne prenez pas tant à cœur, analysez-vous moins, envisagez les choses plus simplement. Vous dites vous-même que vous avez du caractère, reprenez-vous. Il ne vous reste plus si longtemps à souffrir. — Mais je disais cela d’une façon très embrouillée, parce que j’étais ému d’un sentiment de pitié et du repentir de m’être permis de blâmer un homme profondément et sincèrement malheureux.

— Oui, — commença-t-il, — si depuis que je suis dans cet enfer j’avais entendu un mot de compassion, de conseil, d’amitié, un mot humain, comme je viens de l’entendre de vous, peut-être pourrais-je supporter tout avec calme, me ressaisir, être un bon soldat. Mais maintenant, c’est horrible !… Quand je raisonne de sang-froid, je désire la mort, et pourquoi aimerais-je la vie, moi qui suis perdu pour tout ce qu’il y a de bon au monde ! Et au moindre danger, tout à coup, malgré moi, je commence à adorer cette vie lâche et à la vouloir conserver comme quelque chose de précieux.