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cement et poliment. En général, il se tenait assez fièrement avec tous et avec moi, et moi, comme il m’arrive toujours avec les personnes fermement convaincues qu’elles doivent le prendre de haut avec moi, et que je connais très peu, je sentais qu’il avait sous ce rapport tout à fait raison.

Maintenant, quand il s’assit près de moi et me tendit lui-même la main, je retrouvai vivement en lui l’expression hautaine d’autrefois, et il me parut qu’il ne profitait pas tout à fait loyalement de l’avantage de sa situation d’inférieur à supérieur, en m’interrogeant si négligemment sur ce que j’avais fait pendant tout ce temps et pourquoi j’étais tombé ici ? Bien que chaque fois je répondisse en russe, il parlait en français, et cependant, je remarquais qu’il s’exprimait en cette langue, moins librement qu’autrefois. De lui-même, il me glissa en passant, qu’après sa triste et stupide histoire (en quoi consistait-elle, je l’ignorais, et il ne m’en dit rien), il avait été trois mois aux arrêts, ensuite envoyé au Caucase, au régiment de N., et qu’il était soldat dans ce régiment, depuis trois ans.

— Vous ne sauriez croire, — me dit-il en français, — combien j’ai souffert, dans ce régiment, de la société des officiers. Heureusement pour moi, que j’avais connu autrefois l’aide de camp dont on vient de parler. « C’est vraiment un brave homme, — remarqua-t-il comme avec indulgence. — Je vis chez lui, et pour moi, c’est quand même un