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jeune, impressionnable se troublait et il était navré de la conscience de sa solitude et de l’indifférence générale de son sort dans le danger. « On me tuera. Je souffrirai et personne ne pleurera ! » Et tout cela, au lieu de la vie d’un héros pleine d’énergie et de générosité qu’il avait rêvée avec tant d’enthousiasme. Les bombes éclataient et sifflaient de plus en plus près. Nikolaïev soupirait plus souvent sans rompre le silence. En traversant le pont qui conduisait à Korabelnaia il aperçut quelque chose qui, en sifflant, tombait non loin de lui dans la baie, éclairait pour une seconde, d’une lumière rouge les ondes violettes, disparaissait et ensuite bondissait de l’eau en la faisant jaillir.

— Voilà, elle n’a pas crevé ! — dit d’une voix rauque Nikolaïev.

— Oui, — répondit-il tout à fait involontairement, se surprenant lui-même, et d’une petite voix menue, aiguë.

Ils rencontrèrent des brancards avec des blessés, de nouveau des charrettes du régiment avec des gabions ; un régiment se rencontra avec eux à la batterie Korabelnaïa, les cavaliers passaient devant. Un officier avec un Cosaque allait au trot, mais en apercevant Volodia, il arrêta son cheval, le dévisagea fixement, se détourna et s’éloigna en cravachant sa monture. « Seul, seul ! Personne ne s’intéresse à ce que je vive ou non ! » pensait le jeune garçon, et il voulait vraiment pleurer.